jeudi 15 décembre 2011

Quidams et cadavre exquis (1)

Parfois, l'ivresse nous pousse à des actions spontanées ; certaines regrettables, d'autres méritant quelques applaudissements. Bref, au cours d'une soirées dans les brumes rougeâtre de l'alcool, mes amis Gabriel et Simon, quelques quidams et moi-même avons coécrit un cadavre exquis plutôt cocasse. Chaque ligne est l’œuvre d'une personne choisie au hasard dans le bar où nous nous trouvions, de là l'expression « quidam ». Nous ne connaissons pas ces gens ; mais une chose demeure certaine, c'est que les esprits environnants recèlent nombre d'idées étonnantes, pas toujours très saines. Il en résulte ceci :

Avec l'amertume d'une rousse sonore
Il se leva et marcha devant la belle
Parce que le vent aux tétons lucides
Et que le temps s'illuminait de temps
Tandis que le whisky aphodisiaque
Lui disait de séduire l'ignoble aphrodite
Bouton d'or frisé poil et vierge sale
Fut le résultat de sa tentative
Et la riche rouge pousse vers l'espoir
Qu'il ne pouvait vouloir
Car la chope enivre de luxe et de beauté
Et affranchit des lendemains ardents
Les mêmes qui valsent dans des tons de lumière
Rouge, ocre, rouge et mortel
D'un cramoisie noir -- vivat la passion jaune !
Et d'un déchet rose d'une chanson inaudible
Sous la pénombre de ma solitude les oiseaux chantent et il pleut dehors
Cependant, dans la clémence du ciel obscur
Les gens s'amusaient dans le bar du pub du métro en pensant à la révolution
Cheers everybody ! xxx Matante Sonia vous aime !
À tous les gens de bonne volonté, joyeux Noël !!!
Et à Bouras aussi...

Dans un verger près de chez nous
Les conservateurs brûlaient sous l'impact lunaire
D'un objet spatial fulminant
Il en ramena sensuellement son sexe
Puis une jeune fille lui sourit
L'amiral arriva sur les lieux, cet amiral qui avait conquis tant de terres
Levant le bras, l'épée à la ceinture, il cria de joie
Sa voix était tellement puissante dans ce hurlement guttural
Puis jaillit la flamme de la vie et de la passion
Le capharnaüm était rempli de cadavres exquis
Mais le capharnaüm ne savait pas que sa passion était une montagne de phallus prête au combat
L'univers en était tout retourné
Ne sachant comment agir, les émissaires de l'entre-monde étaient soucieux
Les maîtres de l'ombre sortirent de leur catacombe pour assouvir leurs besoins de nourriture et la soif incontrôlable les attachait à leur destin
L'insatiable soif de chair et de sang voila le destin qui attend les vampires de sang pur
Je suis tout à elle pour le restant, peu importe ce qui se passe
Je la protégerai au risque de ma vie
Même si je ne suis pas capable de la transporter
Même dans le froid hivernal, un blizzard à fond fervent
Je sacrifierai ma vie pour pouvoir défoncer argumentairement son corps frêle et indiscipliné

mercredi 14 décembre 2011

Parfum de néant

toi aussi tu es d’essence ectoplasmique
et tu dégages un parfum de néant

car ton apparition est poésie
et ta disparition réalité

c’est pourquoi le poète t’arrache à la mort
et t’incarne en poupée

en bijou fait d’une porcelaine éthérée
si épars et fragile dans ton existence triste


jeudi 24 novembre 2011

Melancholia de Lars Von Trier

Au moment où j'écris ces lignes, une pièce musicale de Nietzsche résonne et l'odeur du café embaume l'appartement. Détails par trop anodins ; après tout, ce parfum flotte dans bien des pièces à travers le monde, notamment là où le jour se lève... Alors, laissez-moi vous faire part d'un sujet plus intéressant : le film Melancholia de Lars Von Trier. Malgré les propos prétendument choquants du réalisateur danois, qui a affirmé publiquement « comprendre l'homme » que fut Hitler, le film a suscité l'intérêt dans le cadre du Festival de Cannes 2011. Et avec raison !
Melancholia raconte l'histoire d'une planète tout juste découverte, car dissimulée derrière le soleil depuis toujours, et dont la trajectoire la conduit tout droit vers la Terre. Deux tableaux s'ensuivent : celui de Justine (Kirsten Dunst), nouvelle mariée qui sombre dans une profonde mélancolie ; celui de Claire (Charlotte Gainsbourg), sœur de la première qui fait tout pour stimuler sa bonne humeur. Or, il n'est pas si simple d'arracher la morosité des rêveurs dont le regard est porté vers le ciel. C'est le cas de Justine, à l'affût d'une étoile rougeâtre qui disparaît subitement, à sa grande inquiétude.


En dépit de son mauvais pressentiment, ses proches se désintéressent peu à peu d'elle tant l'aura de la mélancolie nimbe son âme. Ainsi perd-elle la présence de son mari, de ses parents ; sans oublier l'un des serveurs qui refusent de percevoir ne serait-ce qu'un cheveux d'elle, offusqué qu'elle gâche son mariage de la sorte. Car la mélancolie est source d'idées bizarres, comme prendre un bain afin d'épurer sa conscience, ou encore exposer sur les murs des peintures morbides lors d'une soirée se voulant joyeuse.
Le cas de Clair est tout autre ; elle garde une attitude optimiste et cherche à dissimuler la tristesse de sa sœur. Toutefois, au fil du temps, le masque finit par s'égrener. Les joies artificielles et autres fantaisies succombent à la réalité ; cette rude et impitoyable réalité qui ramène l'attention des protagonistes à Melancholia planète maudite qui devrait seulement frôler l'atmosphère terrestre, selon l'avis des scientifiques.


Kirsten Dunst est sublime dans son rôle. Son visage exprime merveilleusement la mélancolie qu'elle incarne, et son apathie est d'une grande crédibilité. Il n'est guère étonnant qu'elle ait remporté le prix d'interprétation féminine à Cannes. Décidément, Lars Von Trier choisit bien ses actrices, considérant qu'elle est la troisième à obtenir ce prix dans sa filmographie. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle tient fort bien son rôle, quoique plus posé que celui de Dunst. Le changement graduel de son état d'âme est néanmoins rendu avec brio, Claire plongeant dans une angoisse panique à mesure que les heures s'écoulent.
Pour finir, l'esthétique du film est d'une grande beauté. Des images colorées laissent place à des tons plus sombres, alors qu'une musique classique accompagne l'ensemble. Von Trier s'amuse également avec le rythme du film, à la fois lent et précipité. L'attente de l'arrivée de Melancholia est longue, mais les plans s'enchaînent à une vitesse folle. Peut-être est-ce à l'image de la mélancolie ? Cette douleur lancinante qui enflamme l'esprit, reconnue pour être la muse des poètes au cours des siècles ?


jeudi 17 novembre 2011

Les joies, les joies de la mélancolie !

Ô mélancolie ! Toi, insaisissable atmosphère de l'intériorité, bile noire de l'âme qui porte à sourire tant la suffocation est douce en ta présence ! Alors qu'un Dürer a gravé ton essence à même le cuivre, tu fus la panacée d'un Shostakovich plein d'une inspiration chagrine. C'est par ta faute qu'un Kierkegaard a délaissé sa bien-aimée en voulant lui épargner une tristesse sans fin. Car tu es contagieuse, et ceux qui te fréquentent ne peuvent esquiver ton éther ni le vide qui s'infiltre en leur sein. Et le temps, cet affreux, se mêle en un amalgame chaotique dans l'esprit qui regarde la mort en face et tout le passé qu'elle recèle. Que l'on pardonne cette maladie en admirant les beautés qu'elle engendre à son insu. Que l'on te pardonne, Ô mélancolie !...

mercredi 16 novembre 2011

Le cracheur de mots

Tout comme le type qui crache jusqu'à venir à bout de sa salive, j'écris ces courtes pensées afin de stimuler mon imagination. Car la spontanéité des idées est une faculté qui se développe par la pratique, quoi qu'en pensent les défenseurs de l'innéité du talent.
Quelques semaines auparavant, un blogueur (ou une blogueuse, je ne me souviens plus), publiait un billet sur le devenir-écrivain. L'existence d'un tel concept peut sembler étonnante, mais il s'avère que certains affirment que l'on naît écrivain. Comme si les manieurs d'histoires étaient des élus littéraires ! Cette vision des choses n'est pas seulement absurde : elle est une source de découragement pour ceux qui cherchent à écrire de manière passive.
Aussi ennuyeux que cela puisse paraître, travailler sa plume et son esprit est plus que nécessaire. Une connaissance des mécanismes de la langue, du monde qui nous environne et de nos propres capacités créatrices ; voilà de quoi épuiser l'énergie de celui qui entreprend de pareils labeurs. Or, les pontes sont d'agréables récompenses. Et c'est une fois le travail accompli que l'on comprend que le tout en valait bien la peine.
Du reste, au même titre que le cracheur à la langue desséchée, mon esprit s'est tari au fil des jours. Le rythme de ce blogue ralentira donc un peu au cours des semaines à venir. En espérant que les prochains billets soient plus riches en contenu !


mardi 15 novembre 2011

Le charme des lacunes

Alors que je lisais Boule de suif, nouvelle bien connue de Maupassant parue en 1880, une réflexion m'est venue à l'esprit : pour qui écrivons-nous ? Des lecteurs, certes, mais de quel acabit ? Les contemporains ? La postérité ? Ceux de notre culture ? Ou encore pour tous et chacun, sans exception ? Car dans Boule de suif, il y a de nombreuses références à la guerre franco-allemande de 1870-71, ainsi qu'à l'empereur Napoléon III, lesquelles m'ont semblé nébuleuses. Et nul doute qu'elles étaient familières aux lecteurs de l'époque. Je me suis donc demandé si le texte de Maupassant avait mal vieilli, s'il fallait être mieux instruit d'un point de vue historique pour mieux le comprendre ou si j'étais simplement un médiocre lecteur.


Or, ne pas saisir tous les éléments d'une histoire a beau agacer le philosophe en moi, cela crée une ambiance particulière qui n'est pas pour me déplaire. Comme si la complexité d'une histoire lui conférait une certaine crédibilité, peut-être illusoire mais tout de même agréable.

lundi 14 novembre 2011

« Baba Love » d'Arthur H


Ces dernières semaines, je n'ai pu m'empêcher d'écouter en boucle le dernier album d'Arthur H : Baba Love. Une musique aux teintes modernes, avec le son électronique des percussions qui se marient aux mélodies simples mais magnifiques exécutées au piano, se mêle à la voix chaude du compositeur. Si une atmosphère enveloppe l'entièreté de l'album, c'est sans contredit celle de la sensualité. La douceur coule à travers une rythmique propice à la danse, comme si des battements de cœur rendaient compte d'un désir latent.
Tel qu'indiqué par le titre de l'album, l'amour est un thème récurrent de Baba Love. Il n'y a qu'à songer au titre « Ulysse et Calypso », dont la musique rappelle « Billie Jean » de Michael Jackson (!), quoique d'un style plus jazzy ; ou encore à « La beauté de l'amour », avec comme chanteuse invitée la charmante Izia (demi-soeur d'Arthur H), chanson plus dynamique avec une basse cadencée et un clavier subtil en arrière-fond. « Dis-moi tout » est certainement la pièce la plus mélancolique de l'album, avec sa lenteur désespérante, le son du vent qui évoque le bord des mers et les paroles répétitives sur l'impossibilité de tout connaître de l'être aimé.


Baba Love s'avère en somme une belle réussite. Arthur H, d'ailleurs reconnu pour avoir composé pour Jane Birkin, Françoise Hardy et plusieurs autres, nous livre ici un album équilibré qui fera frémir les amateurs de chansons tendres et rythmées.

vendredi 11 novembre 2011

L'apport concret de la philosophie

Toute philosophie, aussi contemplative soit-elle, est action. De sorte que la distinction ancienne entre les philosophies actives et contemplatives apparait erronée. Seul le degré de transformation du penseur et de son environnement permet de comprendre ce que voulaient exprimer les Grecs par l'entremise d'une telle démarcation. Mais celle-ci n'en reste pas moins illusoire.


Un penseur réfléchit le monde qui lui est donné ; et toute réflexion est active du fait qu'elle demande un certain effort. Le contemplatif a beau recevoir des informations passivement (par exemple des couleurs, des sons, des sensations...), il les questionne, les analyse et les juge. Certes, le tout se déroule à l'intérieur de lui-même, sans qu'autrui ne s'en aperçoive. De là l'illusion d'une contemplation passive, l'action étant ici incognito. Or, le penseur se transforme par ses méditations, devenant de ce fait quelqu'un d'autre, ce qui détermine ses actions futures et son rapport au monde qui ne cesse d'évoluer.
Ainsi, toute philosophie est action et entraîne des répercussions concrètes, tant au niveau intérieur (individuel) qu'extérieur (naturel et collectif). La philosophie est tout sauf un tas d'abstractions vides.

mercredi 9 novembre 2011

À la lisière de la nuit...

sombre sombre tel l'automne
et les bandes autochtones
parce que les hirondelles
penchent pour les citadelles

morne morne tel l'ivresse
et les dames vengeresses
en raison des trouble-fêtes
et du songe des prophètes

vague vague comme l'âme
et le secret d'abraham
mais la vêture immortelle
cherche à plaire aux azraëlles

morte morte comme toi
qui patauge dans l'émoi
et les rêves des poètes
qui modulent l'ariette

Simple constat...

Ce matin, comme j'aidais une étudiante dans le cadre d'un cours de philosophie au collège, cette dernière m'a dit quelque chose qui m'a amené à réfléchir : « je suis une cruche ». Elle a enrichi ce propos d'autres termes tout aussi dépréciatifs, d'autant qu'elle n'est pas la première personne que j'entends parler ainsi. Et pourtant, elle a eu à cœur de demander de l'aide pour réussir ses travaux scolaires, ce qui constitue en soi une volonté de parvenir à ses fins, et donc une marque d'intelligence.
Il m'a fallu user de psychologie pour la convaincre qu'elle réussirait son cours, que sa seule présence dans le local du tutorat était un pas vers l'avant que plusieurs étudiants n'osent pas effectuer. Bref, je me suis aperçu qu'il me fallait trouver des moyens efficaces de persuader qu'un rapport au monde positif est plus favorable que de se déprécier via des préjugés portés contre sa personne. Et ce n'est pas du tout simple ; au contraire ! L'attitude négative des gens est quasi omniprésente autour de nous. Il en résulte une atmosphère de morosité qui étouffe tout élan, celui-là même qui permettrait de s'arracher à l'immobilisme propre à la capitulation.

Simple constat pour des idées naissantes à venir...

mardi 8 novembre 2011

Apologie de l'affairement

Ces derniers jours ont été plus que productifs en ce qui me concerne. C'est donc avec un certain effort que je rédige ces mots, qui se veulent une apologie de l'affairement. Car s'il est épuisant, voire étouffant de s'imposer un horaire strict et inflexible, il s'agit d'un moyen sûr d'être productif et de terminer des tâches que nous ne cessions de remettre à plus tard. La dynamique qui s'ensuit nous propulse à une vitesse folle, et il est difficile dans un tel contexte d'interrompre nos activités. Ainsi le sentiment de n'avoir aucun droit au repos est-il assez plaisant, et le sommeil plus profond durant la nuit...

Du reste, puisqu'hier je n'ai pas eu l'occasion de rédiger un petit quelque chose pour ce blog, voici quelques mots spontanés : pour faire de la philosophie, il faut être un peu fou et prendre plaisir à s'entretenir avec le vide.

vendredi 4 novembre 2011

Bentham et les ravages du temps


Alors qu'hier, il s'agissait de frayer avec les morts, j'ai appris aujourd'hui une anecdote on ne peut plus macabre. Jeremy Bentham, le père de la philosophie utilitariste, a demandé qu'on l'embaume après sa mort, en 1832. Comble du bonheur, son souhait fut exaucé : il repose de nos jours à la University College of London, à la vue des curieux qui souhaitent saluer le défunt philosophe. Mais si son corps est vêtu et assis dans une chaise, la tête qui repose sur celui-ci, ornée d'un grand chapeau de paille, est fausse ; car la véritable tête n'a pas échappé aux outrages du temps. Elle existe néanmoins toujours, puisqu'elle repose auprès du corps - à ses pieds !


Après cette découverte surprenante, une question me tenaille : que diriez-vous si un jour, on prenait une photo en compagnie de votre tête pourrie ?

jeudi 3 novembre 2011

Les mimes funèbres

Comme il est doux de frayer avec les morts ! Ils nous hurlent des insanités avec une véhémence d'autant plus effroyable qu'elle nous implante des parasites dans la tête. Peu s'en faut de devenir nous-mêmes des corrupteurs charnels, des manipulateurs funèbres en cet univers numérique. Car même l'extérieur se médiatise en rapport indirect. Désormais, les vivants miment les fantômes. Et la nature poursuit sa route sans un regard pour les émules.


mercredi 2 novembre 2011

Brumes de Fjords

Mon intérêt pour la poésie n'est un secret pour personne, compte tenu des billets à saveur poétique que j'ai publiés sur ce blog. La nostalgie d'un Musset, la noirceur d'un Baudelaire ou encore la mélancolie d'un Verlaine me touchent profondément de par les images sublimes, souvent déchirantes, qu'elles éveillent. Mais récemment, ce sont les poèmes en prose d'une certaine poétesse qui m'ont subjugué. Il s'agit de Renée Vivien, parnassienne du début du XXe siècle, reconnue entre autres pour sa traduction des poèmes de Sapho et pour ses histoires cruelles aux teintes saphiques.
Si ce dernier aspect est peu présent dans son recueil Brumes de Fjords, il reste que les histoires en prose que l'on y trouve sont des expériences musicales en soi ; car Vivien manie merveilleusement l'art de la rythmique et la musicalité des phrases, celles-ci se répétant de manière à la fois sensorielle et réfléchie. Et que dire des images évoquées dans ce livre où les diamants sont des fleurs sans parfum, les trolls des travailleurs aliénés et les morts des amoureux tourmentés ?...


Il va sans dire qu'une atmosphère de mélancolie émane de l'ensemble des poèmes, amalgamée à de l'érotisme ainsi qu'aux désirs chimériques qui mènent au désespoir. Le tout à travers une plume superbe qui n'a rien à envier aux classiques de la poésie.
Brumes de Fjords est disponible en ligne ici. Mais je conseille tout de même la version papier, qui est une impression de l'édition originale, esthétique à souhait. Pour finir, voici un poème en prose qui représente bien la plume de Vivien :

LE CYGNE NOIR

Sur les ondes appesanties, flottait un nuage de cygnes clairs.
Ils laissaient un reflet d’argent dans leur sillage.
Vus de loin, ils semblaient une neige ondoyante.
Mais, un jour, ils aperçurent un cygne noir dont l’aspect étrange détruisait l’harmonie de leurs blancheurs assemblées.
Il avait un plumage de deuil et son bec était d’un rouge sanglant.
Les cygnes s’épouvantèrent de leur singulier com­pagnon.
Leur terreur devint de la haine et ils assaillirent le cygne noir si furieusement qu’il faillit périr.

Et le cygne noir se dit : « Je suis las des cruautés de mes semblables qui ne sont pas mes pareils.
« Je suis las des inimitiés sournoises et des colères déclarées.
« Je fuirai à jamais dans les vastes solitudes.
« Je prendrai l’essor et je m’envolerai vers la mer.
« Je connaîtrai le goût des âcres brises du large et les voluptés de la tempête.
« Les ondes tumultueuses berceront mon sommeil, et je me reposerai dans l’orage.
« La foudre sera ma sœur mystérieuse, et le tonnerre, mon frère bien-aimé. »

Il prit l’essor et s’envola vers la mer.
La paix des fjords ne le retint pas, et il ne s’attarda point aux reflets irréels des arbres et de l’herbe dans l’eau ; il dédaigna l’immobilité austère des montagnes.
Il entendait bruire le rythme lointain des vagues…
Mais, un jour, l’ouragan le surprit et l’abattit et lui brisa les ailes…
Le cygne noir comprit obscurément qu’il allait mourir sans avoir vu la mer…
Et pourtant, il sentait dans l’air l’odeur du large…
Le vent lui apportait un goût de sel et l’aphrodisiaque parfum des algues…
Ses ailes brisées se soulevèrent dans un dernier élan d’amour.
Et le vent charria son cadavre vers la mer.


mardi 1 novembre 2011

Écrire...

... N'importe quoi, mais écrire !

lundi 31 octobre 2011

Tentative d'éclaircissement

Reality is that which, when you stop
believing in it, doesn't go away.
(Philip K. Dick)


Ce billet est une réponse aux questionnements soulevés ici. Il semble que la notion du silence de mon billet précédent, mais surtout celle que j'utilise couramment lors de discussions philosophiques, ait été mal comprise. Il en est de même concernant son association avec l'existence et, de manière plus fondamentale, avec l'être. Surtout qu'elle n'a rien à voir avec la métaphysique ; elle est plutôt ce qui contourne les illusions métaphysiques, au profit d'une philosophie de l'existence qui ne cherche plus à expliquer le monde, se bornant plutôt à le décrire. Ce qui n'empêche aucune portée concrète et ne restreint en rien la possibilité d'une philosophie pratique.

*

L'être est ce qui est, soit l'évidence pure pour tout sujet existant, alors que l'existence concerne l'ouverture vers cet être, c'est-à-dire l'extase vers la réalité. Et puisque l'existence est (de l'être), elle est à considérer comme un mode de l'être. De là pourquoi chaque existant n'est qu'un point de vue particulier de la réalité.
À ce stade, nous pouvons nous figurer que nos pairs perçoivent l'être autrement que nous-mêmes ; il en est de même pour les animaux et, à un niveau plus élémentaire, pour les organismes cellulaires. Mon point est le suivant : tout organisme vivant relève de l'ordre des existants ; et puisque la grande partie des vivants ne possède guère la faculté du langage propre à l'humain, il s'avère que l'existence et les mots ne sont pas liés directement. Ainsi l'existence baigne-t-elle dans une atmosphère de silence. Or, il suffit que nous nommions un élément du monde pour aussitôt faire surgir l'essence de cette chose, c'est-à-dire l'objet, lequel est toujours déterminé. Mais sur ce point, je m'arrête ici...
L'être est donc silencieux, indépendant du langage (ce que Spinoza a mal compris en confondant l'existence et l'essence des choses), et l'existence consiste en cette ouverture vers le silence de l'être. Je souligne qu'ici, le silence n'est point à comprendre dans son sens quotidien ; il ne concerne en rien le son ou l'absence de son, mais bien plutôt le sens et l'absence de sens. L'être est indéterminé et le langage détermine, au même titre que l'existence est la base et l'essence le surplus.
Une incompréhension de ces propos explique peut-être pourquoi les mots de Sartre furent si mal interprétés ; car comme lui, je considère que l'existence précède l'essence.
Et le silence le langage...

vendredi 28 octobre 2011

Quand le silence s'impose...


En tant qu'êtres subjectifs ayant un vécu et des expériences particulières, nous avons tous notre lot de croyances, c'est-à-dire une atmosphère intérieure qui reflète notre singularité ; et ces croyances déterminent pour ainsi dire notre rapport au monde et à autrui. Il est cependant naturel d'imaginer que les autres possèdent également une intériorité qui leur est propre, et donc leurs croyances particulières.
Pourquoi donc ces propos à mi-chemin entre la philosophie et la pure évidence ? Car hier, alors que je buvais une pinte de Cheval Blanc en échangeant des idées avec des amis, l'un d'eux est parvenu à freiner mon élan comme je m'efforçais de clarifier un point. Chose tout à fait banale, je l'admets. Or, il s'avère qu'il a bloqué ma verve avec une idée précise : celle de l'honnêteté intellectuelle. Et comble de l'ironie, il aurait été malhonnête de ma part de renchérir sur mes propos, puisque les mots se sont soudainement embrouillés dans mon esprit. Le silence s'est donc imposé à moi, et j'ai jugé préférable d'admettre mon impuissance plutôt que d'argumenter de manière chaotique. À mes yeux, une méditation prochaine était requise, ce qui m'amène à l'idée suivante : il vaut se taire que d'ergoter avec mauvaise foi.
Le reste incombe au silence...

jeudi 27 octobre 2011

Le plaisir des cafés

Travailler dans les cafés, c'est l'occasion de voir différents visages, d'avoir son petit espace éphémère et de se retirer dans sa solitude intérieure tout en observant le fourmillement des alentours. C'est l'atmosphère du bavardage mêlé à la musique qui déferle à nos oreilles, de même que l'obligation de bosser sur ses trucs (car sinon, à quoi bon traîner dans les cafés ?) avec l'idée d'une satisfaction imminente.


Et que dire de la promenade qu'il faut faire pour s'y rendre ? Surtout qu'en ce qui me concerne, mes cafés de prédilection sont assez éloignés de chez moi ; il s'agit donc d'instants de silence, de méditation et de contemplation, le tout agrémenté d'un brin d'exercice.
Bref, travailler dans les cafés, c'est ma tasse !


mercredi 26 octobre 2011

L'intériorité de l'éthique


Au cours de ma lecture d'une biographie de l'écrivaine américaine Patricia Highsmith (l'esprit derrière M. Ripley), j'ai appris qu'elle admirait Kierkegaard au point de le considérer comme un maître. Tout comme lui, elle considérait que tout était subjectif, une simple question de point de vue, ce qui rend le fondement de l'éthique plutôt délicat. Comment déterminer de manière sûre ce que sont le bien et le mal ?
Ludwig Wittgenstein, également un lecteur du philosophe danois, considérait pour sa part que l'éthique consiste en un faux problème du fait que tout problème aboutit à une solution alors que la question de l'éthique demeure insoluble. Ainsi est-elle selon lui affaire d'intériorité, c'est-à-dire le propre de l'individu existant.
Pour une écrivaine comme Highsmith, une telle découverte s'avère fructueuse pour l'écriture, considérant qu'elle se plaisait à créer des personnages psychopathes, sans la moindre valeur éthique. Si Kafka, troisième amateur de Kierkegaard, a préféré l'aspect religieux de sa pensée, il reste que la valorisation de la subjectivité est quelque chose d'intéressant pour celui qui s'intéresse davantage à l'existence intérieure des individus plutôt qu'au rôle superficiel qu'ils tiennent en société (quoique ce second revers s'avère tout aussi fécond, ce que prouve un Asimov, par exemple). Car cette intériorité peut parfois surprendre ; Kierkegaard le démontre bien en décrivant Abraham qui conduit son fils en silence vers la montagne dans l'intention de l'égorger...

mardi 25 octobre 2011

Le bourreau absurde


Il suffit d'attraper un mauvais rhume pour s'apercevoir que nous n'avons point le temps de tomber malades. Du moins, est-ce le cas pour les bourreaux de travail comme moi ! Des lectures à faire, un mémoire à travailler, des cours à préparer, des langues à apprendre, des instruments de musique à pratiquer, des textes à écrire et à peaufiner...
Le temps passe si vite, et les journées sont si courtes ; j'ai beau tousser, crachoter et me moucher toutes les cinq minutes, je continue quand même mes trucs jusqu'à ce que je m'effondre sur mon divan. Même mes chats me dévisagent en me voyant tomber d'épuisement alors que je suis pourtant bourré de caféine. Et je ris tant je me trouve absurde tout en étant fier de l'être.
Dans ces moments, je me demande comment l'ennui est possible dans un monde aussi riche que le nôtre. J'aimerais le saisir en quelques minutes seulement via les mots et les promenades cathartiques. Alors, je me presse et me plonge à nouveau dans un travail acharné qu'aucun rhume n'est à même de freiner. Tout au plus suis-je ralenti...
Et je ris de mon absurdité et de la mine que font mes chats !

lundi 24 octobre 2011

Lire par fragments

Quel plaisir de feuilleter au hasard les livres qui garnissent nos bibliothèques ! Prendre un ouvrage sans but précis et en lire quelques paragraphes, pas tant pour y découvrir le sens d'une intrigue qu'afin d'en admirer l'esthétique et la beauté des mots. Il suffit de passer d'un auteur à un autre pour déceler de nombreuses différences stylistiques ; car, lorsque nous lisons 200 pages d'un même livre, le style devient transparent au fil de la lecture, au profit des péripéties, des dialogues, des descriptions... Tout cela, certes, éveille l'imagination et provoque une sorte de spectacle visuel dans l'esprit. Mais si nous parcourons quelques lignes aléatoires au beau milieu d'un texte, ce sont les mots eux-mêmes qui ressortent le plus.
Pour un écrivain, cet exercice est enrichissant et très inspirant. Voyez ces extraits (dont le choix est le fruit du hasard) et jugez-en par vous-mêmes :

Au moment où il entra, deux grands valets de chambre, mieux mis que M. Valenod lui-même, deshabillaient Monseigneur. Ce prélat, avant d'en venir à M. Pirard crut devoir interroger Julien sur ses études. Il parla un peu de dogme, et fut étonné. Bientôt il en vint aux humanités, à Virgile, à Horace, à Cicéron.

– «Ces noms-là, pensa Julien, m'ont valu mon numéro 198. Je n'ai rien à perdre, essayons de briller».

Il réussit; le prélat, excellent humaniste lui-même, fut enchanté.

(Extrait tiré de Le Rouge et le noir de Stendhal)

*

Dans son lit maintenant, Grand étouffait : les poumons étaient pris. Rieux réfléchissait. L’employé n’avait pas de famille. À quoi bon le transporter ? Il serait seul, avec Tarrou, à le soigner…

Grand était enfoncé au creux de son oreiller, la peau verdie et l’œil éteint. Il regardait fixement un maigre feu que Tarrou allumait dans la cheminée avec les débris d’une caisse. « Ça va mal », disait-il.

(Extrait tiré de La Peste de Camus)