Il y a un peu plus d'un mois, j'écrivais un billet sur l'écrivain et philosophe français Maurice Blanchot (sans compter l'excellent billet d'Ariane). Aujourd'hui, j'écris sur celui qui fut son ami, celui dont la pensée se rapprochait de la sienne, tout en s'en éloignant. En effet, la philosophie d'Emmanuel Lévinas traite, à l'instar de celle de Blanchot, de la littérature, bien que ce ne soit pas central dans sa pensée. Car la philosophie de Lévinas en est une de l'Autre, plus précisément du visage de l'Autre. J'ai récemment écrit un billet sur le visage chez Deleuze, mais cette pensée s'éloigne de celle de Lévinas, où le visage joue un rôle tout différent. De quelle manière ce dernier entendait-il le visage ? Qu'en est-il de l'Autre ? De la trace de l'Autre ?
Pour mieux comprendre la philosophie de Lévinas, il est nécessaire de commencer avec le concept du Moi. Ce concept est l'identification par excellence, en plus d'être pur égoïsme, puisque tout ce qui est hors du moi est considéré par le Moi comme pour moi. Mais ce qui est hors du moi peut également être considéré comme étranger au moi, une sorte d'altérité qui possède un sens. À son tour, le sens est invisible, dissimulé sous formes de traces imperceptibles : traces du passé qui peuvent apparaître et enfin se dévoiler à travers le langage, la culture, l'histoire, de telle sorte que le moi, qui est le Même, prend conscience de l'existence de l'Autre, de l'extérieur à soi. Ainsi, la signification, c'est-à-dire le sens caché de l'être, est enfin donnée à l'individu, qui devient du même coup idéaliste. Et cette prise de conscience de l'Autre constitue le point central de la philosophie de Lévinas, qui affirme que le moi égoïste, immanent, autonome et athée doit être remis en question.
Par l'entremise de la prise de conscience de l'Autre, de l'étranger, de ce qui est hors du moi, surgit la possibilité de la transcendance, le pouvoir de voir au-delà du simple donné empirique, le monde terrestre étant mis de côté au profit d'un sens, d'un monde culturel où l'intersubjectivité domine grâce à la communication. Et, selon Lévinas, lorsque le Moi est remis en question par lui-même, il effectue un mouvement du Même vers l'Autre, c'est-à-dire qu'il délaisse son propre égoïsme pour se dévouer à l'Autre dans une générosité radicale, et ce de manière irréversible, à l'instar d'Abraham qui quittât à jamais sa patrie pour une terre inconnue. De telle sorte que le Moi abandonne tous ses besoins, préférant agir en fonction d'autrui et pour autrui, mouvement vers l'étranger que Lévinas nomme la liturgie. Cette dernière constitue l'éthique même...
Par la suite, Lévinas oppose le besoin et le désir. Car le Moi égoïste agit pour ses besoins, alors que l'individu moral ou éthique ne désire qu'Autrui, ce qui crée la socialité, la communauté, point où l'Autre se modifie en Même (celui de la société). Lorsque l'individu se donne à Autrui, il se vide nécessairement de lui-même au profit d'une culture, d'un langage, d'un art à travers lequel il s'exprime et se dévoile. Mais en se donnant ainsi à une culture, son Moi est bousculé et dérangé, puisqu'il nie son corps, se tournant vers ce monde abstrait où apparaît une signification qui se montre en tant que visage. De sorte que le visage consiste en cette entité qui visite le Moi, qui le perce par sa parole, et qui le bouscule afin d'obtenir ses faveurs. Et le Moi qui se dévoue au visage le fait en toute humilité, au cœur d'une liturgie qui lui ordonne de remettre son être immanent en question dans le but de toujours agir en fonction des autres. De cette manière, le Moi se fait imposer une responsabilité, celle de se rendre impuissant face à soi-même pour n'accorder de l'importance qu'à autrui...
Ce résumé de la pensée de Lévinas est peut-être grossier, mais il permet de comprendre (du moins je crois) les fondements de sa philosophie. Si j'ai écrit un billet sur Blanchot dans lequel j'affirmais mon intérêt à l'égard de sa pensée philosophique et de son style d'écriture, je ne peux en faire autant pour son cher ami... La pensée de Lévinas m'apparaît comme un recul de la philosophie. Pourquoi ? Parce qu'elle s'expose comme une pensée contre-nature, qui rejette le corps propre au profit d'une culture qui est mise sur un piédestal. Je ne rejette aucunement le langage, la culture et l'art, mais il va de soi que notre égoïsme, s'il est nécessaire de voir un ordre dans le cours des choses, ne peut qu'être mis au premier plan, avant même les symboles et les significations de toutes sortes. J'ai l'impression en lisant Lévinas qu'il sombre dans le monde intelligible dont faisait mention Platon, ou encore qu'il valorise l'Intellect d'Aristote, malgré les arguments difficilement réfutables de certains empiristes modernes, ou encore des philosophes héritiers de Kant, pour qui seuls les phénomènes peuvent être connus sous la forme d'images représentées, les choses en elles-mêmes demeurant inconnues... Non seulement Lévinas nie tout cela, mais il affirme surpasser le nihilisme, ce concept nietzschéen qui signifie que les individus, en niant leur corps, leurs passions et leurs instincts, préfèrent s'abandonner au profit d'un idéal grégaire, c'est-à-dire d'une religion ou encore d'une communauté sociale. Aurait-il mal compris Nietzsche ? Souhaitait-t-il seulement incorporer les propos philosophiques des autres afin d'en faire des pensées "judéo-chrétiennes" ? Car Lévinas était effectivement chrétien, et sans aucune subtilité, puisqu'il l'affirme dans ses œuvres, où Dieu prend une place importante.
Pour mieux comprendre la philosophie de Lévinas, il est nécessaire de commencer avec le concept du Moi. Ce concept est l'identification par excellence, en plus d'être pur égoïsme, puisque tout ce qui est hors du moi est considéré par le Moi comme pour moi. Mais ce qui est hors du moi peut également être considéré comme étranger au moi, une sorte d'altérité qui possède un sens. À son tour, le sens est invisible, dissimulé sous formes de traces imperceptibles : traces du passé qui peuvent apparaître et enfin se dévoiler à travers le langage, la culture, l'histoire, de telle sorte que le moi, qui est le Même, prend conscience de l'existence de l'Autre, de l'extérieur à soi. Ainsi, la signification, c'est-à-dire le sens caché de l'être, est enfin donnée à l'individu, qui devient du même coup idéaliste. Et cette prise de conscience de l'Autre constitue le point central de la philosophie de Lévinas, qui affirme que le moi égoïste, immanent, autonome et athée doit être remis en question.
Par l'entremise de la prise de conscience de l'Autre, de l'étranger, de ce qui est hors du moi, surgit la possibilité de la transcendance, le pouvoir de voir au-delà du simple donné empirique, le monde terrestre étant mis de côté au profit d'un sens, d'un monde culturel où l'intersubjectivité domine grâce à la communication. Et, selon Lévinas, lorsque le Moi est remis en question par lui-même, il effectue un mouvement du Même vers l'Autre, c'est-à-dire qu'il délaisse son propre égoïsme pour se dévouer à l'Autre dans une générosité radicale, et ce de manière irréversible, à l'instar d'Abraham qui quittât à jamais sa patrie pour une terre inconnue. De telle sorte que le Moi abandonne tous ses besoins, préférant agir en fonction d'autrui et pour autrui, mouvement vers l'étranger que Lévinas nomme la liturgie. Cette dernière constitue l'éthique même...
Par la suite, Lévinas oppose le besoin et le désir. Car le Moi égoïste agit pour ses besoins, alors que l'individu moral ou éthique ne désire qu'Autrui, ce qui crée la socialité, la communauté, point où l'Autre se modifie en Même (celui de la société). Lorsque l'individu se donne à Autrui, il se vide nécessairement de lui-même au profit d'une culture, d'un langage, d'un art à travers lequel il s'exprime et se dévoile. Mais en se donnant ainsi à une culture, son Moi est bousculé et dérangé, puisqu'il nie son corps, se tournant vers ce monde abstrait où apparaît une signification qui se montre en tant que visage. De sorte que le visage consiste en cette entité qui visite le Moi, qui le perce par sa parole, et qui le bouscule afin d'obtenir ses faveurs. Et le Moi qui se dévoue au visage le fait en toute humilité, au cœur d'une liturgie qui lui ordonne de remettre son être immanent en question dans le but de toujours agir en fonction des autres. De cette manière, le Moi se fait imposer une responsabilité, celle de se rendre impuissant face à soi-même pour n'accorder de l'importance qu'à autrui...
Ce résumé de la pensée de Lévinas est peut-être grossier, mais il permet de comprendre (du moins je crois) les fondements de sa philosophie. Si j'ai écrit un billet sur Blanchot dans lequel j'affirmais mon intérêt à l'égard de sa pensée philosophique et de son style d'écriture, je ne peux en faire autant pour son cher ami... La pensée de Lévinas m'apparaît comme un recul de la philosophie. Pourquoi ? Parce qu'elle s'expose comme une pensée contre-nature, qui rejette le corps propre au profit d'une culture qui est mise sur un piédestal. Je ne rejette aucunement le langage, la culture et l'art, mais il va de soi que notre égoïsme, s'il est nécessaire de voir un ordre dans le cours des choses, ne peut qu'être mis au premier plan, avant même les symboles et les significations de toutes sortes. J'ai l'impression en lisant Lévinas qu'il sombre dans le monde intelligible dont faisait mention Platon, ou encore qu'il valorise l'Intellect d'Aristote, malgré les arguments difficilement réfutables de certains empiristes modernes, ou encore des philosophes héritiers de Kant, pour qui seuls les phénomènes peuvent être connus sous la forme d'images représentées, les choses en elles-mêmes demeurant inconnues... Non seulement Lévinas nie tout cela, mais il affirme surpasser le nihilisme, ce concept nietzschéen qui signifie que les individus, en niant leur corps, leurs passions et leurs instincts, préfèrent s'abandonner au profit d'un idéal grégaire, c'est-à-dire d'une religion ou encore d'une communauté sociale. Aurait-il mal compris Nietzsche ? Souhaitait-t-il seulement incorporer les propos philosophiques des autres afin d'en faire des pensées "judéo-chrétiennes" ? Car Lévinas était effectivement chrétien, et sans aucune subtilité, puisqu'il l'affirme dans ses œuvres, où Dieu prend une place importante.
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