Avant-hier, je suis tombé par hasard sur un article écrit par deux enseignants du département de philosophie de l'UQAM, soit Josiane Boulad-Ayoub et Georges Leroux. L'article s'intitule « La philosophie au Québec : de la discipline à la culture », et j'y ai beaucoup appris sur la situation de la philosophie québécoise, qui n'a pas toujours été facile, et qui a, selon moi, encore besoin d'efforts pour acquérir un statut plus enviable. Ceux qui étudient en philosophie savent qu'il existe peu de supports (magasines, revues, éditeurs) pour la publication d'essais philosophiques libres et créatifs, les seules revues existantes privilégiant un style universitaire que seule une « élite » peut comprendre. Pour ceux qui souhaitent faire de la recherche purement historique en philosophie, les supports papier ne manquent effectivement pas ! Il n'y a qu'à penser à Ithaque, la revue des étudiants en philosophie de l'Université de Montréal, ou encore à Phares, revue de l'Université Laval. L'existence de telles revues est, à mon avis, une excellente chose, puisqu'elles donnent la possibilité à des étudiants de niveau supérieur de publier le fruit de leurs recherches. Quant à ceux qui souhaitent écrire librement de la philosophie, c'est tout autre chose. Dernièrement, des étudiants de l'UQAM ont « ressuscité » l'ancienne revue étudiante du département de philosophie, Disposition, sous le nom d'Indispositions. Cette nouvelle revue, qui est en réalité une « renaissance », offre à tout le monde la possibilité de publier une philosophie libre, sous diverses formes (essais, articles, poèmes, bandes-dessinées, etc.). Vous trouverez par ailleurs gratuitement sur le site de la revue le numéro un en format pdf, où il est possible de lire un court essai que j'ai écrit, intitulé « Satire sur le suicide », ainsi qu'une nouvelle d'Ariane Gélinas, « Le dernier né » et un essai de Carmélie Jacob, « L'asphyxie collective ».
J'en reviens à l'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qu'ils ont coécrit il y a maintenant dix ans. Selon eux, avant la Révolution Tranquille, la philosophie ressemblait fortement à la scolastique du Moyen-Âge. Elle était en quelque sorte prisonnière des structures de l'enseignement, où les valeurs orthodoxes et conservatrices de cette époque l'empêchait de s'affirmer librement. La pensée philosophique était ainsi asservie au conservatisme de la culture. De plus, elle constituait un instrument de discipline, proposant « une formulation exemplaire de la rationalité et des normes reçues par la société et promulguées par ses élites1 ». Les philosophes de cette époque citaient les auteurs scolastiques et religieux du Moyen-âge pour blâmer une œuvre ou un comportement jugés douteux. Il est facile de comprendre une telle mentalité lorsqu'on apprend que le penseur le plus étudié dans les départements de philosophie était nul autre que Thomas d'Aquin, philosophe et théologien du XIIIe siècle reconnu pour sa Somme théologique. Bref, la philosophie au Québec a longtemps été asservie à la religion chrétienne ; il n'y avait que peu de philosophes originaux qui écrivaient des ouvrages libres et personnels.
Après les années 60, les choses ont commencé à changer, puisque la philosophie a fini par se dégager des « canons de l'orthodoxie », pour reprendre les termes utilisés dans l'article. Mais depuis, il apparaît que la philosophie, plutôt que de profiter de sa liberté et des multiples possibilités qui se sont offertes à elle, s'est repliée sur elle-même, se cantonnant dans son aspect disciplinaire, préférant la rigueur des recherches scolastiques à la créativité et la productivité. Le poète Jacques Brault, qui a jadis enseigné la philosophie à l'Université de Montréal, a écrit qu' « il y a une tâche ici pour les philosophes : nous désapprendre la peur en donnant à notre peur des objets vrais et durs comme le réel2 ». La peur est en effet omniprésente dans les départements de philosophie. C'était vrai il y a une cinquantaine d'année, et il en est toujours ainsi. On préfère la philosophie « technique » à la philosophie créatrice. Il est vrai que certains philosophes québécois et, devrais-je dire, canadiens, ont su se démarquer des autres – je pense en particulier à Charles Taylor et Alexis Klimov, de même qu'à Fernand Dumont et Claude Lévesque que je ne connais pas beaucoup. Du reste, une philosophie qui entretient la peur ne peut rien offrir de notoire à la culture humaine, qui existe grâce à la créativité de l'homme qui s'est manifestée depuis des millénaires.
Mon intention en écrivant ce billet n'est aucunement de me plaindre de la situation de la philosophie au Québec, qui s'est, comme l'affirme les deux auteurs de l'article en question, grandement améliorée depuis plusieurs années. Au contraire, je souhaitais faire un bref résumé de ce qu'est la philosophie québécoise, c'est-à-dire une philosophie qui en est encore à ses premiers balbutiements. L'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qui est selon moi très encourageant, m'a permis de mieux comprendre pourquoi il est si difficile d'être un écrivain-philosophe dans notre province. Car il est parfois difficile de rester motivé par rapport à ses projets philosophiques lorsque le milieu philosophique dans lequel nous nous trouvons est recroquevillé par la peur que lui donnent les innombrables possibilités qui s'offrent à lui. Possibilités qui s'avèrent certes indéterminées, mais qui demeurent le lieu de la créativité.
1 Josiane Boulad-Ayoub et Georges Leroux, La philosophie au Québec : de la discipline à la culture, Montréal, 1999, p. 7.
2 Ibid., p. 10.
J'en reviens à l'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qu'ils ont coécrit il y a maintenant dix ans. Selon eux, avant la Révolution Tranquille, la philosophie ressemblait fortement à la scolastique du Moyen-Âge. Elle était en quelque sorte prisonnière des structures de l'enseignement, où les valeurs orthodoxes et conservatrices de cette époque l'empêchait de s'affirmer librement. La pensée philosophique était ainsi asservie au conservatisme de la culture. De plus, elle constituait un instrument de discipline, proposant « une formulation exemplaire de la rationalité et des normes reçues par la société et promulguées par ses élites1 ». Les philosophes de cette époque citaient les auteurs scolastiques et religieux du Moyen-âge pour blâmer une œuvre ou un comportement jugés douteux. Il est facile de comprendre une telle mentalité lorsqu'on apprend que le penseur le plus étudié dans les départements de philosophie était nul autre que Thomas d'Aquin, philosophe et théologien du XIIIe siècle reconnu pour sa Somme théologique. Bref, la philosophie au Québec a longtemps été asservie à la religion chrétienne ; il n'y avait que peu de philosophes originaux qui écrivaient des ouvrages libres et personnels.
Après les années 60, les choses ont commencé à changer, puisque la philosophie a fini par se dégager des « canons de l'orthodoxie », pour reprendre les termes utilisés dans l'article. Mais depuis, il apparaît que la philosophie, plutôt que de profiter de sa liberté et des multiples possibilités qui se sont offertes à elle, s'est repliée sur elle-même, se cantonnant dans son aspect disciplinaire, préférant la rigueur des recherches scolastiques à la créativité et la productivité. Le poète Jacques Brault, qui a jadis enseigné la philosophie à l'Université de Montréal, a écrit qu' « il y a une tâche ici pour les philosophes : nous désapprendre la peur en donnant à notre peur des objets vrais et durs comme le réel2 ». La peur est en effet omniprésente dans les départements de philosophie. C'était vrai il y a une cinquantaine d'année, et il en est toujours ainsi. On préfère la philosophie « technique » à la philosophie créatrice. Il est vrai que certains philosophes québécois et, devrais-je dire, canadiens, ont su se démarquer des autres – je pense en particulier à Charles Taylor et Alexis Klimov, de même qu'à Fernand Dumont et Claude Lévesque que je ne connais pas beaucoup. Du reste, une philosophie qui entretient la peur ne peut rien offrir de notoire à la culture humaine, qui existe grâce à la créativité de l'homme qui s'est manifestée depuis des millénaires.
Mon intention en écrivant ce billet n'est aucunement de me plaindre de la situation de la philosophie au Québec, qui s'est, comme l'affirme les deux auteurs de l'article en question, grandement améliorée depuis plusieurs années. Au contraire, je souhaitais faire un bref résumé de ce qu'est la philosophie québécoise, c'est-à-dire une philosophie qui en est encore à ses premiers balbutiements. L'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qui est selon moi très encourageant, m'a permis de mieux comprendre pourquoi il est si difficile d'être un écrivain-philosophe dans notre province. Car il est parfois difficile de rester motivé par rapport à ses projets philosophiques lorsque le milieu philosophique dans lequel nous nous trouvons est recroquevillé par la peur que lui donnent les innombrables possibilités qui s'offrent à lui. Possibilités qui s'avèrent certes indéterminées, mais qui demeurent le lieu de la créativité.
1 Josiane Boulad-Ayoub et Georges Leroux, La philosophie au Québec : de la discipline à la culture, Montréal, 1999, p. 7.
2 Ibid., p. 10.
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