samedi 7 juin 2008

Extraits d' «Obsessions et phobies» (1894)


Les obsessions distinguées des phobies

Des phobies, cet état émotif est toujours l'angoisse, pendant que dans les obsessions vraies ce peut être au même titre que l'anxiété un autre état émotif, comme le doute, le remords, la colère. Je tâcherai d'abord d'expliquer le mécanisme psychologique vraiment remarquable des obsessions vraies, qui est bien différent de celui des phobies.
Dans beaucoup d'obsessions vraies, il est bien évident que l'état émotif est la chose principale, puisque cet état persiste inaltéré pendant que l'idée associée est variée. Les personnes qui doutent, doutent de beaucoup de choses à la fois ou successivement. C'est l'état émotif qui, dans ces cas, reste le même : l'idée change. En d'autres cas l'idée aussi semble fixée [...]. Eh bien, une analyse psychologique scrupuleuse de ces cas montre que l'état émotif, comme tel, est toujours justifié.

Substitution comme marque distinctive des obsessions

[...] c'est dans ces deux caractères que consiste l'empreinte pathologique : 1) l'état émotif s'est éternisé, 2) l'idée associée n'est plus l'idée juste, l'idée originale, en rapport avec l'étiologie de l'obsession, elle en est une substitution.
La preuve en est qu'on peut toujours trouver dans les antécédents du malade, à l'origine de l'obsession, l'idée originale, substituée. Les idées substituées ont des caractères communs, elles correspondent à des impressions vraiment pénibles de la vie sexuelle de l'individu que celui-ci s'est efforcé d'oublier. Il a réussi seulement à remplacer l'idée inconciliable par une autre idée mal appropriée à s'associer à l'état émotif, qui de son côté est resté le même. C'est cette mésalliance de l'état émotif et de l'idée associée qui rend compte du caractère d'absurdité propre aux obsessions.

Éléments théoriques

Quant à la théorie de cette substitution, je me contenterai de répondre à trois questions qui se posent ici :
i. Comment cette substitution peut-elle se faire? -- Il semble qu'elle est l'expression d'une disposition psychique spéciale. Au moins rencontre-t-on dans les obsessions assez souvent l'hérédité similaire, comme dans l'hystérie.
ii. Quel est le motif de cette substitution? -- Je crois qu'on peut l'envisager comme un acte de défense (Abwehr) du moi contre l'idée inconciliable.
iii. Pourquoi l'état émotif associé à l'idée obsédante s'est-il perpétué, au lieu de s'évanouir comme les autres états de notre moi? [référence aux études sur l'hystérie] par le fait même de la substitution, la disparition de l'état émotif devient impossible.

Les phobies

A ces deux groupes d'obsessions vraies s'ajoute la classe des « phobies », qu'il faut considérer maintenant. J'ai déjà mentionné la grande différence des obsessions et des phobies; que dans les dernières l'état émotif est toujours l'anxiété, la peur. Je pourrais ajouter que les obsessions sont multiples et plus spécialisées, les phobies plutôt monotones et typiques.
Mais ce n'est pas une différence capitale.
On peut discerner aussi parmi les phobies deux groupes, caractérisés par l'objet de la peur:
1. phobies communes: peur exagérée des choses que tout le monde abhorre ou craint un peu :
la nuit, la solitude, la mort, les maladies, les dangers en général, les serpents, etc.;
2. phobies d'occasion, peur de conditions spéciales, qui n'inspirent pas de crainte à l'homme sain, par exemple l'agoraphobie et les autres phobies de la locomotion. Il est intéressant de noter que ces dernières phobies ne sont pas obsédantes comme les obsessions vraies et les phobies communes. L'état émotif ici ne parait que dans ces conditions spéciales que le malade
évite soigneusement.
Le mécanisme des phobies est tout à fait différent de celui des obsessions. Ce n'est plus le règne de la substitution. Ici on ne dévoile plus par l'analyse psychique une idée inconciliable,
substituée. On ne trouve jamais autre chose que l'état émotif, anxieux, qui par une sorte d'élection a fait ressortir toutes les idées propres à devenir l'objet d'une phobie.
Dans le cas de l'agoraphobie, etc., on rencontre souvent le souvenir d'une attaque d'angoisse,
et en vérité ce que redoute le malade c'est l'événement d'une telle attaque dans les conditions spéciales où il croit ne pouvoir y échapper. L'angoisse de cet état émotif, qui est au fond des phobies, n'est pas dérivé d'un souvenir quelconque; on doit bien se demander quelle peut être la source de cette condition puissante du système nerveux. [...] les phobies font partie de la névrose anxieuse, et elles sont presque toujours accompagnées d'autres symptômes de la même série.
La névrose anxieuse est d'origine sexuelle, elle aussi, autant que je puis voir, mais elle ne se rattache pas à des idées tirées de la vie sexuelle : elle n'a pas de mécanisme psychique, à vrai dire. Son étiologie spécifique est l'accumulation de la tension génésique fruste (pour donner une formule générale pour l'effet du coït interrompu, de l'impuissance du mari, des excitations sans satisfaction des fiancés, de l'abstinence forcée, etc.).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ecrit très intéréssant à lire!