mercredi 29 septembre 2010

Une philosophie du dandysme


« Ce qui est vrai de l’art est vrai de la vie »

– Oscar Wilde


À force de vouloir percer le secret de l’être, la majorité des philosophes ont négligé le paraître. Pourtant, l’ensemble de ce qui constitue la réalité nous apparaît, puisque nous existons en cet instant même par le biais de la perception sensible. Sans la vue, l’ouïe et tous les autres sens connus à ce jour, la possibilité d’un monde existant s’évanouirait d’emblée. Mais il n’en est rien, puisque le monde existe, la raison étant que nous le percevons à travers notre faculté d’éprouver des sensations. Le paraître s’avère donc d’une importance primordiale en philosophie ; pour cette raison, il est tout à fait opportun de s’y pencher soigneusement afin de mieux cerner le rôle qu’il tient dans la vie d’un individu. Certains philosophes et artistes l’ont d’ailleurs fait avec un brio indéniable. La preuve en est que l’esthétique est devenue l’une des principales branches de la philosophie depuis Baumgarten, à qui l’on doit l’invention du terme. Sans compter que l’art du paraître est apparu vers le XVIIIe siècle sous le nom de « dandysme », qui peut être défini comme la doctrine de l’élégance, de la finesse et de l’originalité.

En quoi consiste au juste un dandy ? La définition ci-haut en donne une idée sommaire : c’est un individu qui s’efforce de bien paraître, c’est-à-dire de se vêtir avec une tenue appropriée ainsi qu’un soin raffiné, le tout accompagné d’une gestuelle maniérée, d’un langage soigné et d’une rhétorique maîtrisée. Il est manifeste qu’une telle pensée de l’élégance ne se limite en rien à la seule perception visuelle, puisqu’aux yeux du dandy, il s’avère aussi indispensable de posséder une juste connaissance de la langue parlée ainsi que d’être à même de créer des mots d’esprit à la fois comiques et spontanés. Il va sans dire que celui qui se plie à la doctrine du dandysme doit faire de terribles efforts pour y parvenir, la vie du dandy se rapprochant en cela d’une forme d’ascèse.



Des connaissances esthétiques profondes ainsi qu’une fine sensibilité s’avèrent donc indispensables pour évaluer les formes et les couleurs de manière spontanée tout en ayant pour unique base les passions illogiques du cœur et de l’esprit. Il suffit de mettre le pied hors de chez soi et de vagabonder à tâtons en société pour s’apercevoir que peu de gens possèdent un tel sens de l’esthétique. Le bon goût disparaît parmi les tee-shirts insipides aux logos variés et les blue-jeans qui se ressemblent tous et qui rendent compte d’une des principales craintes qui prédominent en société : celle de s’affirmer en tant qu’individu. Les occasions où nos yeux se hasardent sur une personne élégante au charme apaisant sont très rares. Et s’il est vrai que le dandysme fut jadis chose courante chez nombre d’intellectuels, notamment au XVIIIe et au XIXe siècle, les dandys sont quasi absents en ce XXIe siècle, où l’inélégance semble prisée avec une conscience assumée, ce qui relève d’un pathétisme à la fois triste et risible.



Ces modestes propos peuvent sembler offensants pour ceux qui n’accordent que peu d’importance à leur manière d’être et de paraître dans le monde. Il s’agit néanmoins d’un simple constat, d’une pensée peu développée, mise sur le papier de manière spontanée, dans l’instant. Loin de moi l’idée de reprocher aux gens leur manque de raffinement et de bon goût en matière de vêtements, ou encore de me moquer de leur ignorance de la langue parlée ! Ce n’est de toute manière qu’une simple question de goût, ce qui concerne l’indéterminé et l’immensurable. Et juger les goûts d’autrui par rapport aux siens propres n’est guère une activité prisée par le dandysme, doctrine qui se doit d’être distinguée de celle du snobisme…

Être dandy relève donc d’un choix individuel. C’est une forme d’apologie de l’individu par rapport à la société, qui tente d’absorber celui-ci afin de le fusionner avec autrui en un amas uniforme et abstrait. Or, il s’agit ici de mettre en avant-plan le monde concret, et, par conséquent, les perceptions sensibles qui permettent à l’individu d’exister. C’est en quelque sorte une louange à la beauté visuelle et sonore. Et pourquoi pas un éloge au bon goût en matière de boisson et de nourriture, des bonnes odeurs, du choix d’un encens au parfum extatique, et peut-être même des caresses agréables, prodiguées avec un soin tout particulier ?

J’en viens au point final : le paraître est tout, car ce qui est nous apparaît. Et si le dandysme demeure un choix individuel à caractère intellectuel, le paraître de l’être consiste quant à lui en une réalité nécessaire. C’est donc du côté des sens que les philosophes trouveront le fond même de l’existence. Quant au reste, il faut faire appel au langage…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le film American Psycho explore les thèmes de l'être pi du paraitre de façon vraiment crissement excellente. Ça rejoint ce que tu dis.