Dans son livre Mélancolie et manie, Ludwig Binswanger (1881-1966), psychiatre suisse qui s'est fortement inspiré de la phénoménologie d'Husserl et d'Heidegger, affirme que « dans le discours du "si", du "si... ne pas", du "si-j'avais" ou du "si-je-n'avais-pas" il s'agit manifestement de possibilités vides. Mais là où il est question de possibilités, il s'agit d'actes protentifs », c'est-à-dire d'actes qui tendent vers le futur, par exemple sous la forme de projets. Selon Binswanger, ce qui est possible ne peut être que futur, puisque « le passé ne contient pas de possibilités. Mais ici ce qui est possibilité libre se retire dans le passé. Cela signifie que les actes protentifs constitutifs [qui tendent vers l'à-venir] doivent devenir des intentions vides. La protention devient de ce fait autonome dans la mesure où elle n'a plus de "à propos de quoi", plus rien qu'il lui resterait à "produire" si ce n'est l'objectivité temporelle du vide "à venir" ou du vide "en tant qu'avenir" ».
Binswanger décrit ainsi d'une manière purement phénoménologique la structure du vécu psychique de Cécile Münch, une mélancolique dont il fait mention dans le livre nommé ci-haut. Ce qu'il veut dire est simple : l'individu mélancolique s'imagine diverses possibilités qui auraient pu s'être produites dans un passé quelconque. Toutefois, la faculté de faire surgir de telles possibilités devrait naturellement servir pour les actes futurs. Évidemment, il est impossible de modifier les instants passés, alors pourquoi s'entêter à vouloir changer ce qui est désormais disparu ? Tel que l'affirme Binswinger, celui qui songe sans cesse à des possibilités tournées vers le passé cessera tout bonnement de considérer l'avenir. Ainsi, le mélancolique ne peut que stagner en raison de sa pusillanimité. Ce n'est pas tout, car en plus de délaisser l'avenir, il considère le présent comme vide, dénué de tout intérêt... Il est noyé dans ses souvenirs qui s'entrechoquent continuellement parmi les vaines possibilités auxquelles il songe...
Bref, je découvre la pensée de ce psychiatre-phénoménologue que fut Binswinger, et je souhaite en faire part ici. J'avoue avoir beaucoup d'intérêt pour la phénoménologie, même si je n'y adhère pas totalement. Une théorie phénoménologique de la mélancolie (et de la manie) ne peut donc qu'attiser ma curiosité.
2 commentaires:
Il va falloir que tu tentes de me partager ton intérêt pour ces deux sujets qui indépendamment m'indiffèrent et qui ensemble ne forment pas pour moi autre chose qu'un monstre pour le moment!
J'ai pu constater, selon ton statut Facebook, que tu n'avais pas beaucoup d'estime pour la notion phénoménologique d'intentionnalité. Puisque c'est un concept central dans la "doctrine" (ouch... ça fait mal d'écrire ça) d'Husserl, je suppose que tu n'as pas beaucoup de respect pour la phénoménologie (du moins très peu). Je n'affirme pas être totalement en accord avec cette pensée, mais je trouve néanmoins que cette façon de comprendre le monde est un grand pas dans l'histoire de la philosophie, surtout du côté de l'interprétation de la culture humaine. Oui, il y a des notions qui me dérange fortement, entre autres le concept d'essence tel que l'entend Husserl, sans compter tout ce qui est relié à la transcendance (la dualité immanence/transcendance est selon moi une énorme erreur). Mais la phénoménologie a permis aux philosophes de considérer le monde selon une perspective plus existentielle (moins conceptuelle j'entend...). En outre, il y a un rejet du dualisme kantien que j'apprécie beaucoup (finie la séparation phénomènes/choses en soi !). Par contre, les projets d'Husserl m'apparaissent assez ridicules... Une science unitaire qui servirait d'appui pour toutes les sciences humaines et naturelles ! Que d'utopie...
Pour la mélancolie, je suppose que c'est une question de goût. C'est pour moi une question anthropologique importante, et j'ai seulement envie d'apprendre sur le sujet. :)
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