lundi 12 octobre 2009

Petite histoire de la philosophie au Québec

Avant-hier, je suis tombé par hasard sur un article écrit par deux enseignants du département de philosophie de l'UQAM, soit Josiane Boulad-Ayoub et Georges Leroux. L'article s'intitule « La philosophie au Québec : de la discipline à la culture », et j'y ai beaucoup appris sur la situation de la philosophie québécoise, qui n'a pas toujours été facile, et qui a, selon moi, encore besoin d'efforts pour acquérir un statut plus enviable. Ceux qui étudient en philosophie savent qu'il existe peu de supports (magasines, revues, éditeurs) pour la publication d'essais philosophiques libres et créatifs, les seules revues existantes privilégiant un style universitaire que seule une « élite » peut comprendre. Pour ceux qui souhaitent faire de la recherche purement historique en philosophie, les supports papier ne manquent effectivement pas ! Il n'y a qu'à penser à Ithaque, la revue des étudiants en philosophie de l'Université de Montréal, ou encore à Phares, revue de l'Université Laval. L'existence de telles revues est, à mon avis, une excellente chose, puisqu'elles donnent la possibilité à des étudiants de niveau supérieur de publier le fruit de leurs recherches. Quant à ceux qui souhaitent écrire librement de la philosophie, c'est tout autre chose. Dernièrement, des étudiants de l'UQAM ont « ressuscité » l'ancienne revue étudiante du département de philosophie, Disposition, sous le nom d'Indispositions. Cette nouvelle revue, qui est en réalité une « renaissance », offre à tout le monde la possibilité de publier une philosophie libre, sous diverses formes (essais, articles, poèmes, bandes-dessinées, etc.). Vous trouverez par ailleurs gratuitement sur le site de la revue le numéro un en format pdf, où il est possible de lire un court essai que j'ai écrit, intitulé « Satire sur le suicide », ainsi qu'une nouvelle d'Ariane Gélinas, « Le dernier né » et un essai de Carmélie Jacob, « L'asphyxie collective ».
J'en reviens à l'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qu'ils ont coécrit il y a maintenant dix ans. Selon eux, avant la Révolution Tranquille, la philosophie ressemblait fortement à la scolastique du Moyen-Âge. Elle était en quelque sorte prisonnière des structures de l'enseignement, où les valeurs orthodoxes et conservatrices de cette époque l'empêchait de s'affirmer librement. La pensée philosophique était ainsi asservie au conservatisme de la culture. De plus, elle constituait un instrument de discipline, proposant « une formulation exemplaire de la rationalité et des normes reçues par la société et promulguées par ses élites1 ». Les philosophes de cette époque citaient les auteurs scolastiques et religieux du Moyen-âge pour blâmer une œuvre ou un comportement jugés douteux. Il est facile de comprendre une telle mentalité lorsqu'on apprend que le penseur le plus étudié dans les départements de philosophie était nul autre que Thomas d'Aquin, philosophe et théologien du XIIIe siècle reconnu pour sa Somme théologique. Bref, la philosophie au Québec a longtemps été asservie à la religion chrétienne ; il n'y avait que peu de philosophes originaux qui écrivaient des ouvrages libres et personnels.
Après les années 60, les choses ont commencé à changer, puisque la philosophie a fini par se dégager des « canons de l'orthodoxie », pour reprendre les termes utilisés dans l'article. Mais depuis, il apparaît que la philosophie, plutôt que de profiter de sa liberté et des multiples possibilités qui se sont offertes à elle, s'est repliée sur elle-même, se cantonnant dans son aspect disciplinaire, préférant la rigueur des recherches scolastiques à la créativité et la productivité. Le poète Jacques Brault, qui a jadis enseigné la philosophie à l'Université de Montréal, a écrit qu' « il y a une tâche ici pour les philosophes : nous désapprendre la peur en donnant à notre peur des objets vrais et durs comme le réel2 ». La peur est en effet omniprésente dans les départements de philosophie. C'était vrai il y a une cinquantaine d'année, et il en est toujours ainsi. On préfère la philosophie « technique » à la philosophie créatrice. Il est vrai que certains philosophes québécois et, devrais-je dire, canadiens, ont su se démarquer des autres je pense en particulier à Charles Taylor et Alexis Klimov, de même qu'à Fernand Dumont et Claude Lévesque que je ne connais pas beaucoup. Du reste, une philosophie qui entretient la peur ne peut rien offrir de notoire à la culture humaine, qui existe grâce à la créativité de l'homme qui s'est manifestée depuis des millénaires.
Mon intention en écrivant ce billet n'est aucunement de me plaindre de la situation de la philosophie au Québec, qui s'est, comme l'affirme les deux auteurs de l'article en question, grandement améliorée depuis plusieurs années. Au contraire, je souhaitais faire un bref résumé de ce qu'est la philosophie québécoise, c'est-à-dire une philosophie qui en est encore à ses premiers balbutiements. L'article de Josiane Boulad-Ayoub et de Georges Leroux, qui est selon moi très encourageant, m'a permis de mieux comprendre pourquoi il est si difficile d'être un écrivain-philosophe dans notre province. Car il est parfois difficile de rester motivé par rapport à ses projets philosophiques lorsque le milieu philosophique dans lequel nous nous trouvons est recroquevillé par la peur que lui donnent les innombrables possibilités qui s'offrent à lui. Possibilités qui s'avèrent certes indéterminées, mais qui demeurent le lieu de la créativité.

1 Josiane Boulad-Ayoub et Georges Leroux, La philosophie au Québec : de la discipline à la culture, Montréal, 1999, p. 7.
2 Ibid., p. 10.

samedi 10 octobre 2009

L'animal politique et le langage

Dans mon dernier billet, j'ai expliqué la théorie platonicienne du langage telle que mise de l'avant par Platon dans son Cratyle. Ici, je décrirai très brièvement la philosophie du langage de son disciple, Aristote. Selon lui, la capacité linguistique est le propre de l'homme. Les animaux, bien qu'ils communiquent entre eux leurs passions et leurs émotions par l'entremise de la phône (voix), ne possèdent aucunement le logos (langage), qui permet à l'homme d'exprimer des pensées purement abstraites, par exemple des croyances ou des valeurs. Le langage selon Aristote consiste donc en ce pouvoir de communiquer à l'aide de concepts, lesquels permettent l'apparition de valeurs telles que le bien, le mal, le juste et l'injuste. Ces valeurs constituent l'objet de la politique, de telle sorte que le langage permet à l'être humain de vivre en société. En effet, les hommes se réunissent et forment la famille et la cité, les principales source du bonheur selon la philosophie aristotélicienne. Le langage fait de l'homme un animal politique.

Simple et bref, voici le langage selon Aristote...

samedi 3 octobre 2009

Platon et les mots


Le Cratyle de Platon est certainement l'œuvre philosophique qui a inauguré ce que nous appelons de nos jours la philosophie du langage. Si Platon ne fut pas le premier à s'être interrogé sur cette faculté propre à l'être humain que constitue le langage, il a néanmoins été l'un des pionniers de la réflexion sur la nature et la fonction des mots. Dans le Cratyle, deux points de vue totalement différents sont mis de l'avant par l'entremise des personnages de Cratyle et d'Hermogène. Le premier soutient que les noms sont modelés sur la nature, une juste dénomination existant pour chaque chose. En revanche, Hermogène soulève l'idée que les noms sont créés par l'être humain, c'est-à-dire qu'ils sont le fruit d'un accord, d'une convention.
C'est alors que Socrate se mêle à la discussion, tournant en dérision le point de vue d'Hermogène. Car si le nom qu'on assigne à un objet est juste en raison d'une simple convention, il est alors possible de changer ce nom, le nouveau s'avérant tout aussi juste. Dans cette optique, chaque individu pourrait nommer tel objet de la manière qu'il lui conviendrait. Un homme pourrait ainsi nommer un cheval un "singe". Pour réfuter cet argument, Socrate tourne alors en ridicule la thèse bien connue de Protagoras, selon laquelle « l'homme est à la mesure de toute chose ». Si tel était le cas, chaque homme qui affirmerait une opinion aurait raison, malgré la diversité des points de vue qui peuvent tous se contredire. Or, il est impossible selon Socrate qu'une pluralité d'opinions détiennent toutes leur propre vérité, compte tenu l'existence de la vérité. Chaque chose possède donc une nature qui lui est propre ; il en est de même du nom, qui possède sa nature propre, et qui ne peut être différent suivant le bon goût de chacun.
La création d'un nom doit ainsi, tel que l'affirme Socrate, se conformer à la nature des choses, ce qui demande un certain talent. Celui qui possède ce talent, Platon le nomme le législateur, personnage mystérieux qui n'est guère présenté ni expliqué dans le Cratyle. Le législateur, qui possède l'art d'inventer des noms, impose aux mots des sons et des syllabes, lesquels peuvent différer, puisqu'il existe différentes langues selon des diverses cultures qui caractérisent l'humanité. Car, à l'instar du forgeron qui ne forge pas toujours dans les mêmes métaux, le législateur ne créera pas toujours des noms dans la même langue (ou la même forme), bien que la nature (ou le contenu) de son œuvre soit la même, puisqu'il se base toujours sur les noms en soi pour les revêtir ensuite de sons et de syllabes. Qu'en est-il de la fonction du nom ? Il sert, selon Socrate, à instruire. C'est pourquoi le philosophe, ou plus précisément le dialecticien, dont la tâche est de réfléchir et d'instruire à l'aide des mots, peut seul juger de l'œuvre du législateur.

*

Voici donc les réflexions que Platon a soulevées sur le langage. Ce n'est pas la première fois que j'expose ici des pensées sur la faculté linguistique propre à l'être humain, puisqu'elle est selon moi d'une importance première pour mieux saisir de nombreux enjeux philosophiques, mais il y a une raison plus forte encore qui me motive à étudier les diverses théories du langage. Sans lui, il n'y aurait aucune possibilité de philosophie, de littérature, de science, de politique, de discussion... Bref, de culture. Le langage consiste en la source première de l'esprit, puisque le langage est l'esprit. Tous les artifices qui nous entourent : mon bureau, mon ordinateur, ma tasse de café, de même que les mots qui constituent ce texte, le sens qui s'y trouve, et la voix mentale que chaque lecteur entend à sa lecture ; tout cela découle du langage. Malgré les diverses théories qu'ont soulevées maints linguistes et penseurs de toutes sortes, il est encore difficile de nos jours en philosophie de bien comprendre l'importance des mots dans la culture humaine. Soit les chercheurs se cantonnent toute leur vie dans la philosophie du langage, à chercher des détails insignifiants et à nourrir les vains débats qui suscitent l'admiration d'une poignée d'intellectuels ; soit le langage est mis de côté, les philosophes préférant s'adonner à des réflexions et des questionnements sans même connaître l'instrument qu'ils utilisent, créant ainsi des systèmes métaphysiques à demi religieux. Ces raisons m'apparaissent suffisantes pour se pencher à nouveau sur le langage, en se basant sur les nombreuses recherches dignes d'intérêt qui ont jadis été réalisées à son propos.

lundi 28 septembre 2009

Bagatelle esthétique


Dans le cadre d'un cours de philosophie, une réflexion sur la sculpture Âme damnée de Bernini a été mise de l'avant par l'enseignant. Le cours en question portait sur l'esthétique de Hegel, pour qui l'universel, c'est-à-dire le concept, se particularise à travers l'œuvre d'art, donc se manifeste dans le monde concret. Inutile d'aller plus loin ici avec la pensée hégélienne, qui est bien assez obscure pour que je veuille la laisser dans son obscurité. Je souhaite seulement exposer ce qui a été dit dans le cours à propos du buste de Bernini par rapport au concept qui, suivant l'idéalisme hégélien, apparaît à travers la sculpture. Si l'on observe bien la photo ci-haut, il est évident que le visage du personnage exprime de la souffrance. Le concept universel de cette œuvre serait donc la souffrance. De plus, le titre de la sculpture, Âme damnée, vient appuyer ce propos.
Or, une étudiante s'est interrogée sur la volonté de l'artiste. Se pourrait-il que son œuvre soit un échec ? Et si Bernini désirait exprimer la jouissance à travers sa sculpture ? Que répondre à cela ? Serait-il préférable de sortir le défunt sculpteur de sa tombe afin de lui poser la question : souhaitiez-vous exprimer la jouissance par l'entremise de votre personnage, bien que la terreur émane de ses yeux ridés, ses traits s'étirant en une grimace affreuse ? Que répondrait la carcasse de Bernini, sinon : jeune fille, en plus d'avoir bien cerné la souffrance exprimée par ma sculpture, j'ose croire que tu as compris le titre que je lui ai donné, car il serait douteux qu'un homme damné soit joyeux en plein cœur d'un monde chrétien.
Une telle réponse est déjà vide de sens, puisque l'hypothèse d'une résurrection de Bernini est impossible. De plus, l'expression du visage ainsi que le titre de l'œuvre sont amplement suffisants pour une interprétation satisfaisante. Pourquoi chercher à comprendre une œuvre d'art en inventant des hypothèses situées dans des mondes possibles, donc fictifs, alors que son sens nous saute aux yeux par le biais de signes évidents ? Si la philosophie esthétique a été mise de côté depuis quelques décennies, c'est peut-être en raison de ce genre de questionnements douteux.

lundi 7 septembre 2009

Histoire d'un soir...

Ces dernières semaines furent assez chargées en raison du voyage dans le nord de l'Ontario que j'ai fait avec Ariane, en plus du travail et de la session d'automne qui commençait mercredi dernier pour ma part. Ce qui ne m'a nullement empêché de faire des lectures personnelles, soit quelques recherches sur le lien entre la philosophie et le langage (peut-être écrirai-je quelques billets sur le sujet éventuellement), et, plus récemment, le recueil de nouvelles de Claude Bolduc, intitulé Histoire d'un soir et autres épouvantes, publié chez Vent d'Ouest. J'avais lu auparavant son premier recueil, Les yeux troubles, que j'avais beaucoup apprécié. Que dire de son second, sinon que les nouvelles y sont beaucoup plus profondes, prenantes et amorales ? Une nouvelle comme Vieilles peaux ne peut que faire frémir le lecteur en raison des descriptions qui se veulent tant esthétiques qu'explicites. Car c'est probablement l'une des grandes forces de Bolduc : la capacité de mélanger l'élégance et l'épouvante. Le style des histoires démontre une grande maîtrise de la langue, en plus d'amener le lecteur vers les tréfonds de l'horreur, là où l'inconnu se manifeste de manières cauchemardesques au cœur d'un univers sombre... Certaines nouvelles sont très courtes (Histoire d'un soir s'étale sur seulement deux pages), et d'autres prennent une plus grande place dans le recueil, chacune d'elle possédant son style et son rythme propre. Les nouvelles sont donc diversifiées et captivantes, chaque histoire étant originale en elle-même. En somme, j'ai beaucoup apprécié Histoire d'un soir..., ce qui me donne envie de lire Prime Time au cours des prochaines semaines, livre que je me suis procuré au dernier Boréal, et que Claude Bolduc a écrit en collaboration avec Serena Gentilhomme.
Du reste, j'essaierai d'écrire quelques billets au cours des prochaines semaines, ce qui ne sera probablement pas évident. Mais un peu de vie ici ne fait pas de tort !