samedi 3 octobre 2009

Platon et les mots


Le Cratyle de Platon est certainement l'œuvre philosophique qui a inauguré ce que nous appelons de nos jours la philosophie du langage. Si Platon ne fut pas le premier à s'être interrogé sur cette faculté propre à l'être humain que constitue le langage, il a néanmoins été l'un des pionniers de la réflexion sur la nature et la fonction des mots. Dans le Cratyle, deux points de vue totalement différents sont mis de l'avant par l'entremise des personnages de Cratyle et d'Hermogène. Le premier soutient que les noms sont modelés sur la nature, une juste dénomination existant pour chaque chose. En revanche, Hermogène soulève l'idée que les noms sont créés par l'être humain, c'est-à-dire qu'ils sont le fruit d'un accord, d'une convention.
C'est alors que Socrate se mêle à la discussion, tournant en dérision le point de vue d'Hermogène. Car si le nom qu'on assigne à un objet est juste en raison d'une simple convention, il est alors possible de changer ce nom, le nouveau s'avérant tout aussi juste. Dans cette optique, chaque individu pourrait nommer tel objet de la manière qu'il lui conviendrait. Un homme pourrait ainsi nommer un cheval un "singe". Pour réfuter cet argument, Socrate tourne alors en ridicule la thèse bien connue de Protagoras, selon laquelle « l'homme est à la mesure de toute chose ». Si tel était le cas, chaque homme qui affirmerait une opinion aurait raison, malgré la diversité des points de vue qui peuvent tous se contredire. Or, il est impossible selon Socrate qu'une pluralité d'opinions détiennent toutes leur propre vérité, compte tenu l'existence de la vérité. Chaque chose possède donc une nature qui lui est propre ; il en est de même du nom, qui possède sa nature propre, et qui ne peut être différent suivant le bon goût de chacun.
La création d'un nom doit ainsi, tel que l'affirme Socrate, se conformer à la nature des choses, ce qui demande un certain talent. Celui qui possède ce talent, Platon le nomme le législateur, personnage mystérieux qui n'est guère présenté ni expliqué dans le Cratyle. Le législateur, qui possède l'art d'inventer des noms, impose aux mots des sons et des syllabes, lesquels peuvent différer, puisqu'il existe différentes langues selon des diverses cultures qui caractérisent l'humanité. Car, à l'instar du forgeron qui ne forge pas toujours dans les mêmes métaux, le législateur ne créera pas toujours des noms dans la même langue (ou la même forme), bien que la nature (ou le contenu) de son œuvre soit la même, puisqu'il se base toujours sur les noms en soi pour les revêtir ensuite de sons et de syllabes. Qu'en est-il de la fonction du nom ? Il sert, selon Socrate, à instruire. C'est pourquoi le philosophe, ou plus précisément le dialecticien, dont la tâche est de réfléchir et d'instruire à l'aide des mots, peut seul juger de l'œuvre du législateur.

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Voici donc les réflexions que Platon a soulevées sur le langage. Ce n'est pas la première fois que j'expose ici des pensées sur la faculté linguistique propre à l'être humain, puisqu'elle est selon moi d'une importance première pour mieux saisir de nombreux enjeux philosophiques, mais il y a une raison plus forte encore qui me motive à étudier les diverses théories du langage. Sans lui, il n'y aurait aucune possibilité de philosophie, de littérature, de science, de politique, de discussion... Bref, de culture. Le langage consiste en la source première de l'esprit, puisque le langage est l'esprit. Tous les artifices qui nous entourent : mon bureau, mon ordinateur, ma tasse de café, de même que les mots qui constituent ce texte, le sens qui s'y trouve, et la voix mentale que chaque lecteur entend à sa lecture ; tout cela découle du langage. Malgré les diverses théories qu'ont soulevées maints linguistes et penseurs de toutes sortes, il est encore difficile de nos jours en philosophie de bien comprendre l'importance des mots dans la culture humaine. Soit les chercheurs se cantonnent toute leur vie dans la philosophie du langage, à chercher des détails insignifiants et à nourrir les vains débats qui suscitent l'admiration d'une poignée d'intellectuels ; soit le langage est mis de côté, les philosophes préférant s'adonner à des réflexions et des questionnements sans même connaître l'instrument qu'ils utilisent, créant ainsi des systèmes métaphysiques à demi religieux. Ces raisons m'apparaissent suffisantes pour se pencher à nouveau sur le langage, en se basant sur les nombreuses recherches dignes d'intérêt qui ont jadis été réalisées à son propos.

2 commentaires:

Gabriel a dit…

Excellent! Rien d'autre à dire ;)

Messieurs Bouachiche / Deveureux. a dit…

D'où le contresens capital qu'il faut éviter de faire sur Platon : bien avant d'être philoSOPHOS, le philosophe est philoLOGOS.

Je n'adère pas à la critique unilatérale de la métaphysique sauf quand les philosophies arabes s'évertuent à implater une onto-théologie chez Aristote.

En tout cas, bel esprit de synthèse.

A vous,

kd