mardi 28 avril 2009

Lévinas et la philosophie ?

Il y a un peu plus d'un mois, j'écrivais un billet sur l'écrivain et philosophe français Maurice Blanchot (sans compter l'excellent billet d'Ariane). Aujourd'hui, j'écris sur celui qui fut son ami, celui dont la pensée se rapprochait de la sienne, tout en s'en éloignant. En effet, la philosophie d'Emmanuel Lévinas traite, à l'instar de celle de Blanchot, de la littérature, bien que ce ne soit pas central dans sa pensée. Car la philosophie de Lévinas en est une de l'Autre, plus précisément du visage de l'Autre. J'ai récemment écrit un billet sur le visage chez Deleuze, mais cette pensée s'éloigne de celle de Lévinas, où le visage joue un rôle tout différent. De quelle manière ce dernier entendait-il le visage ? Qu'en est-il de l'Autre ? De la trace de l'Autre ?
Pour mieux comprendre la philosophie de Lévinas, il est nécessaire de commencer avec le concept du Moi. Ce concept est l'identification par excellence, en plus d'être pur égoïsme, puisque tout ce qui est hors du moi est considéré par le Moi comme pour moi. Mais ce qui est hors du moi peut également être considéré comme étranger au moi, une sorte d'altérité qui possède un sens. À son tour, le sens est invisible, dissimulé sous formes de traces imperceptibles : traces du passé qui peuvent apparaître et enfin se dévoiler à travers le langage, la culture, l'histoire, de telle sorte que le moi, qui est le Même, prend conscience de l'existence de l'Autre, de l'extérieur à soi. Ainsi, la signification, c'est-à-dire le sens caché de l'être, est enfin donnée à l'individu, qui devient du même coup idéaliste. Et cette prise de conscience de l'Autre constitue le point central de la philosophie de Lévinas, qui affirme que le moi égoïste, immanent, autonome et athée doit être remis en question.
Par l'entremise de la prise de conscience de l'Autre, de l'étranger, de ce qui est hors du moi, surgit la possibilité de la transcendance, le pouvoir de voir au-delà du simple donné empirique, le monde terrestre étant mis de côté au profit d'un sens, d'un monde culturel où l'intersubjectivité domine grâce à la communication. Et, selon Lévinas, lorsque le Moi est remis en question par lui-même, il effectue un mouvement du Même vers l'Autre, c'est-à-dire qu'il délaisse son propre égoïsme pour se dévouer à l'Autre dans une générosité radicale, et ce de manière irréversible, à l'instar d'Abraham qui quittât à jamais sa patrie pour une terre inconnue. De telle sorte que le Moi abandonne tous ses besoins, préférant agir en fonction d'autrui et pour autrui, mouvement vers l'étranger que Lévinas nomme la liturgie. Cette dernière constitue l'éthique même...
Par la suite, Lévinas oppose le besoin et le désir. Car le Moi égoïste agit pour ses besoins, alors que l'individu moral ou éthique ne désire qu'Autrui, ce qui crée la socialité, la communauté, point où l'Autre se modifie en Même (celui de la société). Lorsque l'individu se donne à Autrui, il se vide nécessairement de lui-même au profit d'une culture, d'un langage, d'un art à travers lequel il s'exprime et se dévoile. Mais en se donnant ainsi à une culture, son Moi est bousculé et dérangé, puisqu'il nie son corps, se tournant vers ce monde abstrait où apparaît une signification qui se montre en tant que visage. De sorte que le visage consiste en cette entité qui visite le Moi, qui le perce par sa parole, et qui le bouscule afin d'obtenir ses faveurs. Et le Moi qui se dévoue au visage le fait en toute humilité, au cœur d'une liturgie qui lui ordonne de remettre son être immanent en question dans le but de toujours agir en fonction des autres. De cette manière, le Moi se fait imposer une responsabilité, celle de se rendre impuissant face à soi-même pour n'accorder de l'importance qu'à autrui...
Ce résumé de la pensée de Lévinas est peut-être grossier, mais il permet de comprendre (du moins je crois) les fondements de sa philosophie. Si j'ai écrit un billet sur Blanchot dans lequel j'affirmais mon intérêt à l'égard de sa pensée philosophique et de son style d'écriture, je ne peux en faire autant pour son cher ami... La pensée de Lévinas m'apparaît comme un recul de la philosophie. Pourquoi ? Parce qu'elle s'expose comme une pensée contre-nature, qui rejette le corps propre au profit d'une culture qui est mise sur un piédestal. Je ne rejette aucunement le langage, la culture et l'art, mais il va de soi que notre égoïsme, s'il est nécessaire de voir un ordre dans le cours des choses, ne peut qu'être mis au premier plan, avant même les symboles et les significations de toutes sortes. J'ai l'impression en lisant Lévinas qu'il sombre dans le monde intelligible dont faisait mention Platon, ou encore qu'il valorise l'Intellect d'Aristote, malgré les arguments difficilement réfutables de certains empiristes modernes, ou encore des philosophes héritiers de Kant, pour qui seuls les phénomènes peuvent être connus sous la forme d'images représentées, les choses en elles-mêmes demeurant inconnues... Non seulement Lévinas nie tout cela, mais il affirme surpasser le nihilisme, ce concept nietzschéen qui signifie que les individus, en niant leur corps, leurs passions et leurs instincts, préfèrent s'abandonner au profit d'un idéal grégaire, c'est-à-dire d'une religion ou encore d'une communauté sociale. Aurait-il mal compris Nietzsche ? Souhaitait-t-il seulement incorporer les propos philosophiques des autres afin d'en faire des pensées "judéo-chrétiennes" ? Car Lévinas était effectivement chrétien, et sans aucune subtilité, puisqu'il l'affirme dans ses œuvres, où Dieu prend une place importante.

jeudi 23 avril 2009

Goethe et l'Esprit de la Terre

Depuis quelques jours, je compose un travail scolaire sur un ouvrage de Goethe, celui qu'il considérait lui-même comme son grand chef d'œuvre. Il s'agit du premier Faust, publié en 1808 (la seconde partie ayant été publiée une année après la mort de son auteur, soit en 1832). Même si Goethe a commencé la création de cette œuvre dès ses jeunes années, Faust marque un point tournant dans sa vie d'artiste. En effet, le jeune Goethe faisait partie d'un mouvement de jeunes écrivains rebelles qui se révoltaient contre le rationalisme des Lumières, mouvement qui s'appelait le Sturm und Drang (tempête et élan). C'est durant cette époque de rébellion que Goethe écrivit Les souffrances du jeune Werther (1774), roman épistolaire où la passion et la démesure s'entremêlaient au cœur d'une histoire qui aura grandement contribué à l'arrivée du romantisme en Allemagne. Cependant, après dix années sans n'avoir rien écrit, Goethe repris la création de son Faust, auquel il travaillera durant près de soixante ans. L'œuvre qui tendait d'abord vers le romantisme pris toutefois une toute nouvelle direction : celle du classicisme. Le style classique propre au Goethe mature sera ainsi davantage présent dans la deuxième partie de Faust.
Il y a plus de cinq ans, j'ai lu le premier Faust, et cette œuvre m'a énormément marqué, tant pour sa richesse que pour son style à mi-chemin entre le romantisme et le classicisme. J'irais même jusqu'à affirmer que c'est grâce à ce livre que j'ai eu envie d'écrire et d'étudier la philosophie. S'il en est ainsi de la première partie de Faust, il n'en est pas de même pour la seconde, qui m'apparaît comme une oeuvre quasi illisible, désagréable et très maladroite. Selon ses dires, Goethe l'aurait écrite par intuitions, mais en réalité, une encyclopédie de mythologie l'accompagnait tout au long de son travail d'écriture. Pourquoi donc saturer une œuvre de symboles mythologiques, puisqu'il faut une érudition de niveau avancé pour la comprendre ? Et si Goethe devait se servir lui-même d'une encyclopédie pour écrire son second Faust, ce ne peut être qu'un lourd travail de le lire par la suite... Je laisserai donc cette œuvre de côté et consacrerai le reste de ce billet au premier Faust, où la fluidité règne, contrairement à sa suite qui vient briser l'élan du lecteur.
L'histoire est bien connue, mais en voici tout de même un résumé : Faust, c'est ce vieux savant qui a toute sa vie cherché à connaître les mystères de la vie à travers la science, la philosophie, et même la théologie. Un jour, il désespère de ne rien trouver, et constate une dure vérité : il n'a jamais vécu ! Dans une rage folle, il décide de laisser de côté la science pour se tourner vers l'occultisme et la magie, souhaitant évoquer l'Esprit de la Terre, soit l'essence de la nature et de la vie. Celui qui se présente à lui n'est nul autre que l'incarnation du diable, qui se présente sous le nom de Méphistophélès. Il promet au vieux Faust de lui redonner la jeunesse et de lui faire découvrir les mondes inconnus et les jouissances matérielles en échange de son âme. Le savant accepte, et l'aventure commence enfin pour ce vieillard qui ne connaissait que les abstractions de la connaissance humaine.
Au début de l'œuvre, Dieu pari avec le diable que Faust ne se laissera pas dominer par le mal et les passions terrestres. C'est cette lutte entre la connaissance divine et la jouissance corporelle qui est mise en scène par Goethe par l'entremise de son Faust. Cette œuvre possède un aspect très philosophique ; je dirais même que c'est une philosophie masquée en pièce de théâtre. La lecture est très agréable, puisqu'elle entraîne le lecteur dans une passion des plus musicales et rythmées. Goethe a voulu créer une œuvre où l'espoir et l'amour sont omniprésents, puisque le sujet central de Faust est bien entendu la capacité d'aimer et de progresser à travers le mal. Il existe selon lui un équilibre entre le savoir et les passions, l'être humain apprenant de ses erreurs en vivant, et donc en s'adonnant au mal, aux diverses jouissances et souffrances qui lui permettent d'apprendre, de comprendre et donc de mieux vivre. Il est vrai que Faust est une histoire remplie d'idéalisme et d'optimisme, ce qui le rapproche de la pensée des Lumières, mais il demeure qu'un brin de réalité reste présent, puisque c'est également une œuvre qui valorise une chose à laquelle personne n'échappe : la vie.

mardi 21 avril 2009

Congrès Boréal 2009 (2)


Illustration de Dave Bergeron

lundi 20 avril 2009

Le visage chez Deleuze

Que représente le visage dans la philosophie de Gilles Deleuze ? Simplement ceci : un système mur blanc - trou noir. Selon les termes de Deleuze : « Large visage aux joues blanches, visage de craie percé des yeux comme trou noir". La philosophie deleuzienne est difficile en raison des nombreux symboles qui s'y trouvent, mais nous finissons toujours par y cerner un sens des plus évidents. Au centre du visage, il y a la signifiance (le mur blanc) ainsi que la subjectivation (les trous noirs qui s'unissent en un seul sujet). Voilà donc le visage. Mais Deleuze affirme qu'un tel visage repose nécessairement sur un socle, un point d'appui : une machine abstraite de visagéité. C'est grâce à cette machine que le mur blanc se construit, de même que les trous noirs se percent. Cette machine permet donc au visage de surgir et de s'organiser par "ordre des raisons", c'est-à-dire de manière purement rationnelle. Tout cela est bien sûr très abstrait, et c'est tout à fait normal, car le visage est de toute part abstraction.
Qu'en est-il du corps ? Délaissé, évanoui. L'être qui perçoit à travers les trous noirs, qui se trouve en face du mur blanc qu'on lui impose par un acte de violence, à l'instar d'Alex dans le Clockwork Orange d'Anthony Burgess cet être est animé par un corps sans organe, concept que Deleuze a emprunté à Antonin Artaud. Qu'importe le corps, cette nature primitive et vaine, lieu du chaos et de l'absurde, alors que l'esprit peut s'élever vers un monde spirituel supérieur, où les fins utiles, l'abstrait et l'unité se révèlent à ceux qui veulent bien les voir ? C'est ici qu'entre en jeu le concept de déterritorialisation (plutôt difficile à prononcer) auquel Deleuze fait constamment référence dans son oeuvre. L'être se déterritorialise de son corps, l'abandonne au profit d'un monde abstrait, d'une culture, d'une société commune, d'un visage qu'il reterritorialise. Il acquiert, par l'entremise d'une éducation qu'il n'a pas choisie, la signifiance, c'est-à-dire le langage et le sens qui s'y cache, de même que la subjectivité, soit son identité propre et symbolique.
Il est difficile de simplifier en quelques mots à peine cette philosophie à la fois riche et maladroite. En effet, Deleuze et Guattari (qui a participé à l'écriture de l'Anti-oedipe et de Mille Plateaux) ont certes créé de beaux symboles, de belles allégories, mais ils n'avaient à mon avis guère la plume qui aurait pu rendre le tout plus poétique et musical. Lorsque le visage et la machine abstraite sont bien assimilés, il est nécessaire de comprendre que, selon Deleuze, ce visage est unitaire, c'est-à-dire qu'il constitue une société commune qu'il symbolise par le visage du Christ (!). De plus, à l'intérieur de cette unité se trouvent une division binaire des divers aspects du visage. Par exemple, il y a en société le maître et l'esclave, le juge et le coupable, le sage et le fou... Bref, la machine abstraite qui constitue le visage possède un crible qui lui permet de trier ce qui est admis et ce qui est rejeté selon des critères normatifs. Il est également nécessaire, selon Deleuze, de comprendre ce système de triage comme quelque chose d'intrinsèque au visage, c'est-à-dire qu'une société unitaire n'interpréterait pas les marginaux et les anormaux en tant qu'étrangers, mais en tant que malades à soigner et à incorporer. Voilà ce en quoi consiste l'éducation des visages chez Deleuze.
Joyeux n'est-ce pas ? Le visage est ainsi, selon Deleuze, une politique d'où il est possible de s'en sortir. Non pas par un retour en arrière tel que l'entendait Rousseau, puisqu'une régression de l'être humain vers une animalité primitive demeure impossible et non envisageable. L'homme est condamné au langage, à la culture, au visage. Alors comment se sortir de ce visage unitaire ? Deleuze soutient qu' « il s'agit d'en sortir, non pas en art, c'est-à-dire en esprit, mais en vie, en vie réelle ». Mais comment vivre hors du visage si nous y sommes condamnés ? En incorporant un surplus de visage, une multiplicité d'unités, et pour cela, il est nécessaire de posséder un certain bagage culturel et artistique, puisque « c'est par l'écriture qu'on devient animal, c'est par la couleur qu'on devient imperceptible, c'est par la musique qu'on devient dur et sans souvenir, à la fois animal et imperceptible : amoureux ». Il s'agit ainsi de se créer des mondes, de nouveaux visages, ce que Deleuze nomme rhyzome... Le tout au risque de devenir fou par un éclatement de la personnalité, de l'unité qui pourrait aisément se fragmenter sous la forme d'une schizophrénie irréparable. Mais qu'importe, puisque l'être qui souhaite être libre doit à tout prix échapper à l'unité du visage afin de devenir ce clandestin, ce nomade, cet être de la pluralité qui apprend à aimer ces visages qu'il a lui-même créés ?


jeudi 2 avril 2009

En cette semaine de grève...

Il est si agréable de se sentir inspiré ! Ce soir, j'ai terminé l'écriture d'une nouvelle, que j'ai débutée la fin de semaine dernière. Elle s'intitule L'île de l'idole. Il ne me reste qu'à la retravailler et à la corriger ; elle sera ensuite prête pour la soirée littéraire à venir. Je n'ai d'ailleurs pas encore écrit un seul mot sur ces fameuses soirées que j'entretiens avec Ariane, Gabriel et quelques autres amis. À chaque mois, nous écrivons un texte sur un thème choisi, et nous nous réunissons (jusqu'ici, ce fut chez Ariane et moi) afin de commenter les écrits des autres, tout en discutant littérature et philosophie. Ainsi, ces soirées sont motivantes, puisqu'elles permettent d'écrire sur divers thèmes, instructives, les commentaires d'autrui étant toujours les bienvenus pour mieux s'améliorer, et enrichissantes, en raison des échanges d'idées qui se produisent pendant les conversations. Bref, il est plutôt agréable de se réunir ainsi, à l'instar des salons de l'époque des Lumières.